• Cour ou Jardin (variation n°2)

    Cour ou Jardin (variation n°2)

        1)

        A dire vrai, il ne s’était jamais vraiment préoccupé de cette libraire. Il avait bien remarqué son délicat minois. Ses yeux verts émeraude. Sa chevelure mordorée. Sa peau légèrement rosée. Ses lèvres mauves, éclatantes comme une églantine. Et cette façon qu’elle avait de le regarder, chaque fois qu’il passait. Au fil du temps, par ce débordement de regards qu’ils échangeaient à la dérobée, il avait eu l’impression qu’une curiosité mutuelle les rendait complices l’un de l’autre, sans qu’ils se connaissent. Laisser planer ce parfum d'inconnu lui suffisait. Il écrivait parfois en songeant à elle. Mais il n’aurait pas eu l’idée d’essayer de la séduire, n’était que..

        .. N’était que cette fois-ci, elle avait sensiblement changé d’attitude. Alors qu’il fouillait les rayons, elle faisait en sorte de rester dans son champ de vision. Elle avait un regard beaucoup plus soutenu. Sa robe, échancrée à partir du genoux, laisser apparaître deux mollets d'une délicieuse finesse. Et elle était suffisamment serrée sur ses hanches pour qu'il puisse se délecter des formes généreuses de sa lune. Elle n’était pas très grande. 1 m 60 tout au plus. Mais sa silhouette était remarquablement harmonieuse. Sa gorge, bien que modeste, semblait rebondie et ferme, sous son chemisier en soie. Il se dégageait de cette femme une sensualité à la fois exquise et pudique. Elle avait remarqué qu’il l’avait mirée de la coiffure jusqu'aux escarpins. Elle en paraissait ravie. Elle arborait l'allure d’une fleur qui n’attend que d’être cueillie. Quand elle prit place afin d’encaisser les livres, il la contempla plus intensément. Elle ne parût pas du tout indisposée. Au contraire même. Elle se mesurait à lui, redoublant d'acuité. Il s’en suivit un succinct chassé-croisé de regards ne dissimulant plus une attirance réciproque. Il examina alors chacun de ses gestes, pendant qu’elle tapait le total. “Ça fera 19 euros 67 cts”.  Il sourit du caractère équivoque de la situation. Il ouvrit son porte-feuille et lui tendit un billet de 20 euros. Puis, tandis qu’elle lui rendait la monnaie et lui donnait le ticket de caisse, il lui glissa à l’oreille:

    Le client_ Puis-je vous poser une question quelque peu délicate? 

    La libraire_ Oui, vous pouvez.. 

    Le client_ Puis-je vous inviter à dîner? 

    La libraire_ Je vous demande pardon? 

    Le client_ Accepteriez-vous de venir dîner avec moi? 

    La libraire_ Vous désirez m'inviter au restaurant? 

    Le client_ Je songeais plutôt à un dîner chez moi. J'aime cuisiner.

    La libraire_ J'avoue que je ne sais trop quoi vous répondre..

    Le client_ Mon invitation est-elle trop précipitée?

     La libraire_ Non.. je dirais plutôt qu'elle est surprenante. Je vous ai toujours trouvé réservé et distant.

    Le client_ Je suis un peu timide.. mais j'ai cru deviner que vous vous intéressiez à moi. 

    La libraire_ Je suis en effet curieuse à votre encontre. Cela tient peut-être au fait que je lis le même genre de littérature que vous. 

    Le client_ Vraiment..? Et bien dans ce cas, je vous serais gré d'accepter mon invitation. Ainsi, nous aurions tout le loisir de discuter à notre convenance. 

    La libraire_ Et bien ma foi, pourquoi pas?

        2)

    Cour ou Jardin (variation n°2)



        Peu après le dessert, Gérard apporta deux tasses de café sur la petite table du salon. L'alcool aidant, les deux nouveaux amis s'étaient découverts de nombreux points communs.

    Eléonore_ Quelle délicieuse soirée.. je n'ai pas pour habitude de me rendre chez un homme dès sa première invitation. Mais j'avoue que je suis ravie d'être ici avec toi ce soir. Quel fin cordon bleu tu fais! 

    Gérard_ Merci. Et pourquoi donc te méfies-tu tant du premier rendez-vous?

    Eléonore_ Parce qu'il est évident qu'un homme n'invite généralement une femme que parce qu'il désire la séduire. Si tu te rends chez lui dès le premier rendez-vous, il risque fort d'imaginer qu'il est déjà parvenu à ses fins.

    Gérard_ Tu crois que c'est que je m'imagine à présent?

    Eléonore_ Je pense que tu dois te demander si je vais finir dans ton lit, où si tu vas devoir me raccompagner à ma voiture, et prendre ton mal en patience.

    Gérard_ Cela fait effectivement partie des questions qui gravitent dans les parages de cette soirée. Mais je peux t'assurer que je suis déjà enchanté que tu ais accepté de dîner ici ce soir.

    Eléonore_ Le plaisir est partagé.

    Gérard_ Puisque tu abordes le sujet, peux-tu m'en dire un peu plus sur ce besoin d'être séduite?

    Eléonore_ C'est moi que tu veux cuisiner à présent..

    Gérard_ Il y a un peu de ça..

    Eléonore_ Cela tient à deux choses.. d’abord, l’attirance physique ne me suffit pas. Je n’aime pas m’offrir à n’importe qui.. j’aime sentir l'attirance se changer en séduction.. j’aime voir comme le désir de s’accoupler capte notre attention, mobilise notre imagination.. c’est pour moi une composante essentielle du désir et du plaisir.. tu ne trouves pas?

    Gérard_ Cela fait parti du jeu.. je sais aussi que certaines femmes éprouvent plus que d'autres le besoin d'être séduites intellectuellement. Mais qu'en est-il de la seconde chose?

    Eléonore_ Une femme attentive en apprend toujours beaucoup sur l'homme qui essaye de la séduire, au moment où il s'efforce de le faire. Je sais généralement très vite si j'ai affaire à un vulgaire séducteur, où à un prétendant à qui je plais.

    Gérard_ La séduction est donc pour toi l'occasion de cuisiner tes amants éventuels.. (rires) mais dis-moi, qu’est-ce qui me vaut l’honneur de ce petit changement dans tes habitudes? 

    Eléonore_ C’est l’attente je crois.. j’ai beaucoup attendu avant de te manifester mon intérêt pour toi.. je t’ai discrètement observé.. ce qui m’a particulièrement plu, c’est que tu as commencé à me séduire sans chercher à le faire. 

    Gérard_ Ah.. et comment? 

    Eléonore_ Je crois que cela tient à cet air absorbé que tu prends, dès que tu feuillètes un livre. Comme si plus rien ne pouvait se placer entre toi et lui. Je voyais bien que je ne te déplaisais pas. Et pourtant, tu restais distant, détaché.. c’est ton air rêveur qui m’a irrésistiblement attirée.

    Gérard_ Et tu n’es pas déçue par cette rencontre? 

    Eléonore_ Pas pour le moment. Et toi? 

    Gérard_ Non.. j'aime la présence des femmes intelligentes. J'ai beau vénérer Baudelaire, je ne comprendrais jamais pourquoi il a écrit que l'amour des femmes intelligentes est un plaisir de pédérastre.

    Eléonore_ Baudelaire a beau compter parmi les poètes les plus raffinés et les plus lucides de son époque, il n'en fut pas moins un vulgaire misogyne.

    Gérard_ Certes..

    Eléonore_ Tu sais, je ne suis pas venue ici pour discuter de Baudelaire. Ni de littérature d'ailleurs. J'aimerais en revanche que tu me parles de ta façon de voir l'amour.

    Gérard_ J'ai bien peur de te décevoir.

    Eléonore_ Soit honnête..

    Gérard_ Et bien j’ai toujours préfèré coucher d’abord, et discuter ensuite, contrairement à ce que nous faisons maintenant.. cela tient à mon appréhension du désir.. je crois que le désir est immanent..

    Eléonore_ C'est très masculin comme vision. Tu dois souvent te confronter à l’incompréhension des femmes.. 

    Gérard_ J’ai toujours considéré l’accouplement comme un mode d’expression à part entière. Il me suffit que l’attirance soit vive.. je ne projète pas plus loin ma pensée. C’est un fonctionnement que je crois sain, très naturel, même s’il m’a valu bien des malentendus en effet.. bon nombre de femmes m’ont trouvé lubrique, alors que je suis très pudique et respectueux..

    Eléonore_ Tu m'as donc invité en espérant que je m'offrirais à toi.

    Gérard_ Je serais heureux de t'avoir dans mon lit ce soir, oui.

    Eléonore_ Et tu es prédisposé à coucher avec n’importe qu’elle femme qui s’offre à toi?

    Gérard_ Non.. il ne suffit pas qu’elle essaye de me séduire.. il faut qu’elle m’attire.. je ressens toujours un malaise quand une femme cherche à me séduire sans réaliser qu’elle ne me plaît pas.

    Eléonore_ Si je comprends bien, l'amour est inimaginable pour toi sans le désir.

    Gérard_ Disons qu'il y a dans la sensation d’attraction immédiate entre les corps une mélodie naturelle qui me transporte, même si elle repose bien souvent sur un malentendu..

    Eléonore_ Un malentendu? Comment ça?

    Gérard_ L’attirance sexuelle, quand elle est réciproque, est un accord tacite de nos instincts. Nous l’éprouvons sans en connaître les causes.. nous sommes attirés ou repoussés les uns par les autres sans vraiment savoir ce qui nous attire ou nous repousse.. et pourtant, l’étrangeté de ces sensations a quelque chose de très familier.. aussi, j’y saute à pieds joints. J’aime la spontanéité.. il y a dans les parades sociales de la séduction une forme de calcul qui me navre. L’attirance ne réclame pas tous ces calculs.. sentir trop de calcul dans le désir est quelque chose qui ne me convient pas.. à quoi bon promouvoir le désir, alors que le désir nous meut? 

    Eléonore_ Et tu n’as jamais de regrets?

    Gérard_ Des regrets, comment ça? 

    Eléonore_ Ne trouves-tu pas affligeant de coucher avec quelqu’un, pour réaliser ensuite que tu n’as rien à lui dire? Ou pire, que tu es aux antipodes de cette personne?

    Gérard_ Non.. il m’arrive bien d’être déçu sexuellement. Mais je préfèrerai toujours vivre des ébats amoureux intenses, même s'ils sont voués à rester sans suite, que de trop longues parades séductrices aboutissant à un coït médiocre. De toute manière, quand il est question de sexe, nos corps se comprennent bien mieux que nos esprits. Je suis donc prédisposé à coucher avec n’importe quelle femme, pourvu qu’elle m’attire. S’il n’y a pas d’autres affinités, j’en reste là. Si en revanche, je ressens qu’il y a plus, alors je m’intéresse à la personne.

    Eléonore_ Je fonctionne de façon inverse.. il me faut ressentir quelques affinités avant.. et puis le jeu de séduction m’a évité bien des désagréments.. ce n’est pas sans plaisir que je me refuse à certains hommes.. 

    Gérard_ Le refus.. n'est-ce pas une manière parmi d'autres de jouir de la liberté sexuelle?

    Eléonore_ Peut-être.. mais l’idée que coucher avec n’importe qui me révulse..

    Gérard_ C'est compréhensible.. quoi qu'il en soit, je préfèrerai toujours débuter une relation avec une femme par le sexe, avant de m’investir. D’abord parce que j’aime le sexe. Ensuite, parce que je suis incapable d’aller plus loin si le sexe ne fonctionne pas.

     Eléonore_ La déception sur le plan humain ne te dérange-t’elle pas..?

    Gérard_ En ce qui concerne la sexualité, non.. au contraire même.. quand mon implication se limite au sexe, moins j'en sais, et mieux c'est. Cela tient peut-être au fait que je suis un homme.. pour moi, si nos corps ont su se donner du plaisir, c’est déjà fabuleux. Pourquoi regretter ensuite que nos personnalités n’y parviennent pas?  J’éprouverai toujours une bien plus grande déception dans l’autre sens. Avoir envie d’aimer une femme, et découvrir que la sexualité ne fonctionne pas avec elle est une sensation insupportable..

    Eléonore_ Je trouve tout aussi douloureux d’avoir envie d’aimer quelqu’un parce que le sexe est très intense, et de découvrir que cet amour n’est pas possible..

    Gérard_ C'est une discution sans fin. Tout ce que je sais sur l'amour, c'est que certains le désirent avec une telle d’avidité, qu’ils finissent par s’infliger des tourments abominables.

    Eléonore_ C’est vrai.. mais dis-moi, qu’éprouves-tu pour moi, maintenant? 

    Gérard_ Je suis sous le charme de ta délicate personne.

     Eléonore_ Tu ressens donc un peu plus qu’une simple attirance sexuelle..

    Gérard_ Il me semble découvrir, en deça de nos points communs, un balbutiement d’affinités.. j’ai le sentiment que nous nous ouvrons l’un à l’autre, comme nous ouvrons des livres.. et toi, que ressens-tu?

    Eléonore_ Je me sens en confiance. J'ai le sentiment que tu es sincère et que je peux parler avec toi. 

    Gérard_ Et alors? 

    Eléonore_ Je crois que j'ai envie de faire quelque chose d'inhabituel ce soir..

     Gérard_ Tu veux dormir ici?

     Eléonore_ Oui..

    Gérard_ Tu es bienvenue.

     

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