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Par DiaporamaX le 22 Septembre 2012 à 19:59
Musicien autoproduit, écrivain et critique de cinéma de genre à ses heures, Fred Bau compte parmi ces innombrables artistes qui peuplent la toile tout en étant totalement inconnus en dehors de leur sphère underground. Féru de guitare rock instrumentale, fan inconditionnel de Jeff Beck, le bonhomme affectionne par dessus tout de torturer sa Stratocaster. Mais il s'accorde parfois des excursions saturniennes. A moins, bien sûr, que ce ne soient elles qui lui tombent dessus. DiaporamaX est l'une d'entre elles. Et elle nous invite à dériver dans les parages de Vénus.
Patrick Colinier: Peux-tu décrire en quelques mots la nature d'un projet tel que DiaporamaX?
Fred Bau: Je dirais que c'est, à l'exception de ChrysaliX, un recueil de montages audiovisuels opérés à partir d'une collection d'échantillons érotiques et pornographiques.
PC: Comment t'est venue l'idée d'un tel recueil?
FB: Un peu par hasard. N'étant pas moi-même photographe, j'avais glané divers clichés sur le net. Certains étaient des photos. D'autres des arrêts sur image de vidéos. J'ai constaté que le travail de la photographie pouvait être aussi soigné dans le registre pornographique que celui érotique. Ça a posé un germe. Plus tard, j'ai décidé d'élaborer un diaporama à partir de cette collection.
PC: Ça ne t'a pas dérangé de monter un diaporama à partir de clichés qui ne sont pas de toi?
FB: Comment ça?
PC: Ce n'est pas vraiment de la création...
FB: Je vois.. tous les clichés que mes vidéos font circuler gratuitement sur le net y circulent déjà gratuitement. Pour ce qui est de la création, ça se passe au niveau du montage. C'est une mise en valeur. J'ai la naïveté de croire que c'est comme ça qu'on le verra.
PC: Chaque vidéo se rapproche beaucoup d'une séance de diapositives, n'est-ce pas?
FB: Je m'inspire effectivement du procédé de projection de diapositives, au sens où ce type de projection est rarement aléatoire. Les images défilent dans un ordre prémédité. Mais ça fonctionne aussi différemment. Les images ne sont pas statiques. Et il y a la dimension musicale. C'est un peu comme si une séance de diapos prenait la forme d'un vidéoclip, tout en conservant son aspect sériel de diapositives.
PC: Peut-on dire que DiaporamaX présente des "velléités filmiques"?
FB: Oui et non. Les velléités filmiques se limitent au montage, qui ne dépasse jamais le niveau de projection de diapos. On peut relier ça au principe de l'illustrated song. Sauf que j'ai opté pour un parti pris fragmentaire pour le montage et le cadrage.
PC: On entend principalement du Rock instrumental dans ton recueil. C'est toi qui assures les parties musicales?
FB: Oui. A l'exception d'une romance de Mozart que j'utilise pour Faces, de deux titres réalisés en collaboration avec mon ami Hervé Jeanson, et d'un troisième réalisé avec Mathieu Jourdan, toute la musique est de moi. Mais tous les morceaux existaient déjà avant DiaporamaX. Je les ai détournés de leurs albums originaux.
PC: Cela a-t'il soulevé des difficultés particulières?
FB: Aucune, si je mets de côté la synchronisation avec les images. La sélection des morceaux s'est faite très instinctivement.
PC: As-tu privilégié une méthode pour synchroniser la musique et l'image?
FB: Non. J'ai travaillé au cas pas cas en me laissant porter par l'interaction audiovisuelle. Le défilement des photos est intrinsèquement lié à la progression de la musique. Mais ce n'est pas ultra carré. A l'image du désir et de l'émotion qui ne le sont pas non plus, les raccords peuvent se produire sur les temps forts comme sur les temps faibles, suivre la rythmique, ou la mélodie. Parfois, ils sont même en l'air. Cela revient à prendre des libertés autour d'une rigueur métronomique. Bref, c'est musical. C'est là que DiaporamaX déborde complètement l'aspect linéaire d'une projection de diapositives, sans relever pour autant du vidéoclip.
PC: Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce germe qui est né de ta collecte?
FB: J'ai saisi que la frontière entre l'érotisme et la pornographie n'était pas évidente. On a beau distinguer ces deux formes de fictions artistiques en concevant que la première relève de la suggestion onirique, alors que la seconde procède de l'exhibition réaliste, cette distinction demeure arbitraire et simplificatrice. Dans les deux cas, il y a une relation d'exhibitionnisme et de voyeurisme. L'érotisme et le porno ne diffèrent pas par nature. Ils diffèrent seulement par degrés.
PC: Il est généralement admis que le porno focalise sur la crudité des actes, et vise à exciter, alors que l'érotisme est une esthétisation de la sensualité qui sollicite le fantasme.
FB: C'est vrai dans les grandes lignes. Mais où se situe la frontière entre les deux? Un triolisme porn, par exemple, qui donne à voir un homme copuler avec deux lesbiennes, relève à bien des égards du fantasme. Dans la réalité, la sensualité, lorsqu'elle a pour mobile la satisfaction des besoins sexuels, mène inexorablement au passage à l'acte. Et copuler n'est pas exempt de séduction. Exciter l'autre, attiser son désir lors de préliminaires, est une forme de séduction. Si on transpose aux fictions érotiques et pornographiques, ces deux arts usent d'artifices en vue de séduire leur public, de capter son attention.
PC: La ligne de démarcation entre deux films comme Emmanuelle et Gorges Profondes est tout de même assez limpide.
FB: Il y a effectivement une ligne de démarcation visuelle radicale entre les deux classiques auxquels tu fais référence. Mais elle repose sur un critère simpliste et récurrent: suggérer ou exhiber. Si tu compares par exemple Histoire d'O et Pussy Talk, ce critère conventionnel ne vaut que visuellement. Thématiquement, ce qu'Histoire d'O suggère va beaucoup plus loin que ce que Pussy Talk montre. De ce point de vue, c'est Histoire d'O qui est le plus exhibitionniste. Et que dire de monuments comme Le Déclic ou L'Empire Des Sens, qui oscillent dans des régions limitrophes? Je crois au bien fondé de la question que je pose.
PC: Et as-tu une réponse à proposer?
FB: Pas vraiment. Il y a une zone de clair-obscur entre ces deux genres. On peut aussi bien y tracer péremptoirement une limite grossière, que procéder par vases communicants.
PC: C'est la deuxième option que tu privilégies.
FB: C'est ce que j'ai essayé de développer, oui.
PC: On peut donc dire que DiaporamaX propose un mélange des deux.
FB: Oui. Mais cette appréciation reste approximative.
PC: Y-a-t'il une couleur dominante?
FB: C'est difficile à dire, du point de vue du spectateur en tout cas. Un lecteur de littérature et de poésie érotiques sera probablement tenté de ne voir dans le recueil qu'un poncif qui agglomère des stéréotypes. Et un adepte du hard pur et dur risque de trouver ça fort peu excitant.
PC: Et de ton point de vue à toi?
FB: J'ai essayé d'harmoniser les deux couleurs, sans verser dans l'obscène. Mais ce qui n'est pas obscène pour l'un le sera pour l'autre. Le truc, c'est que plus tu t'efforces d'érotiser le porno, et plus tu donnes des accents pornographiques à l'érotisme. Si tu visionnes séparément les deux Lesbos' Curve, par exemple, en t'en remettant au critérium habituel, l'une est très érotique, alors que l'autre est carrément hard. D'aucuns trouveront la seconde obscène. Mais elles constituent un sous ensemble à part entière. Elles n'agissent pas seulement comme des courbes parallèles. Elles constituent une ligne de confusion différentielle qui, en deçà des apparences, montre exactement la même chose: des femmes qui se sentent bien ensemble, sans hommes.
PC: Tu ne sais donc pas dans quelle catégorie situer DiaporamaX?
FB: Ce recueil est à la fois très sensuel, et très sexuel. Je dirais que c'est un recueil pornérotique. Ça peut sembler facile à dire. Et pourtant, c'est tout sauf évident.
PC: Il y a quelque chose d'ambigu dans ta démarche. D'une part, tu remets en question la distinction entre la suggestion et l'exhibition des pratiques sexuelles. Et de l'autre, tu sembles avoir besoin de ce critère pour justifier ce que tu qualifies de clair-obscur. N'est-ce pas paradoxal?
FB: Cela peut sembler paradoxal, en effet. Cette impression de clair-obscur est d'ailleurs en partie née des insuffisances de ce critère. Mais en amont, le sexe nous excède. La liberté sexuelle fait peur à pas mal de monde. J'ignore pourquoi, mais le sexe est à la fois attractif et répulsif. La plus part des religions dominantes sont des répulsifs bâtis sur le tabou de la sexualité. D'après la psychanalyse, la répulsion et l'attraction sont des phénomènes très proches. C'est peut-être parce que la libido nous dépasse, et que le dualisme religieux a contaminé notre vitalité naturelle, qu'on en est arrivé à ce critère pour distinguer ces deux arts. Ce qui est sidérant, c'est de découvrir que le refoulement sexuel judéo-chrétien gît au coeur même de la distinction de ces deux formes de défoulements. Qu'il détermine inconsciemment leur classification. C'est l'éternelle feuille de vigne coercitive. C'est aussi arbitraire qu'insuffisant. Si tu remets les choses dans l'ordre naturel, l'énergie sexuelle a en soi quelque chose d'obscur, au sens où elle nous anime et nous voue à devoir la canaliser socialement. C'est presque incroyable de constater que d'autres espèces de primates y parviennent mieux que nous. Je ne pense pas nourrir un paradoxe. Ce sentiment de clair-obscur et les insuffisances du critère dont nous parlons sont intimement liés.
PC: Tu parles d'ordre. L'ordre dans lequel tu proposes tes vidéos est-il calculé ou laissé au hasard?
FB: Calculé. DiaporamaX est construit sous forme de progression, comme si on passait progressivement du clair à l'obscur. Ce qui n'est pas synonyme de passer du soft au hard. J'ai donc eu aussi recours à l'alternance, afin d'éviter ce malentendu.
PC: En somme, tu t'es efforcé de faire cohabiter dans un même ensemble les deux genres.
FB: En gros, c'est ça. Mon objectif intellectuel, c'était de mettre en lumière une zone de clair-obscur. C'est elle, le lieu de cohabitation. Le problème, c'est que c'est une mise en abîme des deux genres l'un dans l'autre. Dès que tu t'éloignes des facilités de la feuille de vigne, tu découvres qu'il n'y a pas un entre-deux précis. Il n'y a pas un point transitoire entre garder ou retirer cette feuille. Tout ce que tu peux essayer de dévoiler, c'est l'inanité absurde de l'idée fixe que représente cette feuille, en mettant en scène l'action de se déshabiller, comme dans Invitations. Mais face à l'attraction pour la nudité du sexe, qu'on adore parer d'artifices, on reste dans une zone floue. On peut s'interroger sur ce qu'il y a de latent dans l'exhibition la plus manifeste. On peut aussi s'interroger sur ce que montre l'art de la dissimulation. La séduction relève à bien des égards du jeu de cache-cache. Mais on ne peut pas se dévêtir du désir et des Temptations. On s'y refuse, ou on s'y abandonne, dans la vie comme dans l'art. La progression et l'alternance sont les deux seuls moyens que j'ai trouvés afin de parvenir à cette cohabitation frontalière. C'est cette zone qu'est supposé refléter DiaporamaX. C'est un tout inséparable.
PC: Il n'y a néanmoins rien d'obscur dans l'impression de passer d'un genre à l'autre.
FB: La clarté de cette impression est impossible à annuler au niveau de la sensibilité. C'est un réflexe atavique. Ce réflexe peut indiquer les insuffisances de mon idée. Mais mon idée tient précisément cette clarté pour obscure. Le recueil se porte en faux vis-à-vis des suffisances des conventions érotiques et pornographiques, parce qu'elles sont trop prédéterminées, en Occident en tout cas, par cette sempiternelle feuille de vigne.
PC: Faute d'un critère décisif que tu aurais pu substituer au critère que tu remets en question, as-tu des références en la matière?
FB: Trois en particulier: Le Déclic de Milo Manara, qui a été massacré lors de son adaptation à l'écran, pour des raisons évidentes de censure. Cette BD relève du double coup de génie. Elle est non seulement très représentative de cette zone où le voile érotique se déchire, de façon insaisissable, sans jamais basculer dans la pure mécanique pornographique. Le mécanisme porn participe intrinsèquement à la dynamique érotique de l'ouvrage. Mais elle met aussi en scène un fantasme plus ou moins conscient chez bien des hommes: pouvoir contrôler selon leur bon vouloir la libido féminine. Manara a réussi à trouver l'équilibre dans la bascule. Comme il n'y a pas de passage, il a eu l'idée du geste déclencheur. Dans son registre, Le Déclic est inégalable. Il y a aussi L'Amour Propre de Martin Veyron, tout aussi massacré à l'écran. Cette BD a particulièrement marqué mon adolescence. Le porno est parfaitement intégré dans un récit érotico-comique. Dans L'Amour Propre, les hommes et les femmes dialoguent d'égal à égale. Et puis il y a la pornographie sadienne. La pornographie philosophique des lumières, où le corps, le sexe, et la pensée apparaissent indissociables. Dans La Philosophie Dans Le Boudoir, les personnages partouzent et conspirent en philosophant. C'est à la fois très cru, très imaginaire, et résolument politique. Sade a déchiqueté la feuille. Et pourtant, on parle aujourd'hui de sadisme tout en portant encore en nous les stigmates de cette feuille.
PC: Où situerais-tu DiaporamaX par rapport à ces trois influences?
FB: Ça, c'est une question piège..
PC: Pas nécessairement.
FB: Je sais pas.. En marge, ou au croisement, comme tu veux. Le but du recueil ne consiste pas à inciter le spectateur à se branler. Il n'est pas non plus question de l'inviter à suivre un récit, à philosopher, ou à explorer la complexité de la libido humaine. Je lui propose juste de jouir d'une certaine forme de contemplation limitrophe. DiaporamaX est foncièrement soucieux de beauté. C'est la couleur qu'est supposée annoncer Jade. Jade, c'est une beauté très sensuelle. Mais son regard exprime un idéal glacial. C'est une beauté sublime. Elle se tient sur le même diamètre qu'Invitations et Temptations. Elle exprime une fascination pour la beauté. Mais elle se situe sur le rayon opposé. C'est une beauté intouchable, sans être asexuée. Le travail de photo réalisé avec ce modèle est remarquable. Son regard exprime pour moi ce que Baudelaire appelle la fosse de l'Idéal.
PC: Il y a donc des velléités poétiques dans DiaporamaX.
FB: Je l'admets. II ne faut pas occulter l'omniprésence de la musique, qui pour moi, est quelque chose de très sensuel. A partir du moment où tu mets la musique en corrélation avec des images, que ce soit dans ta tête ou dans une fiction artistique, tu l'habilles d'une interprétation poétique. Dans ce cas, elle est habillée de culs nus.
PC: Comment définirais-tu cette poétique?
FB: Bah.. ce n'est que du libertinage. C'est une invitation sensualiste anatomique, plus ou moins clinique. L'occasion de se dépolluer le crâne de la contamination morale judéo-chrétienne, sans avoir à se vautrer dans une bestialité primaire.
PC: Peux-t'on dire que Suspensions est représentatif de l'esthétique que tu tentes d'élaborer?
FB: Oui. Tous les clichés de Suspensions sont des lieux communs empruntés à des vidéos pornos. Sortis de leur contexte, ces arrêts sur image se voient dotés d'une délicatesse qu'ils n'ont pas dans leur matériel originel. C'est un peu comme si, séparée de ses mécanismes filmiques, la photographie porn reprenait ses droits sensuels. Suspensions, c'est en quelque sorte Emmanuelle qui suce.
PC: Et que penses-tu d'un film comme Gorges Profondes?
FB: C'est l'archétype de la pornographie que j'abomine. Suspensions prend le contre pied absolu de cette vision de la fellation, même si un cliché y fait allusion. Ceci dit, le détournement du porno dans l'érotisme le moins flagrant, et pourtant le plus radical, je l'ai réalisé avec The Soft Machine. Tous les clichés appartiennent sans exception à des vidéos de hard. Et pourtant, ce montage est absolument érotique. C'est du Playboy. C'est la preuve qu'il y a un érotisme résiduel dans le hard.
PC: Inversement, si je te suis bien, l'érotisme descend dans la radicalité pornographique avec Porn can be beautiful.
FB: Dans Porn can be beautiful, il y a beaucoup de gros plans de pénétrations, et de doubles pénétrations. Ce qui prive à mon sens la majorité des gros plans porns de toute dynamique sensuelle, c'est la manière mécanique de les traiter. Comme si on avait besoin de s'abîmer dans la bestialité pour se réconcilier avec notre animalité. Le porno a trop tendance à basculer dans la performance physique, alors que les réals de films érotiques éludent ces prises de vue. L'arrêt sur image permet de les capter différemment. La beauté érotique voisine alors avec le terrible pornographique.
PC: Est-ce que les doubles pénétrations te semblent belles?
FB: Disons que les nanas qui s'y adonnent m'impressionnent. Elles encaissent. Mais comme pour la sodomie, je n'aime pas quand cela relève du défoulement primaire. C'est comme un plat trop salé, ou trop poivré. L'arrêt sur image permet de court-circuiter ces effets. L'entre-jambe féminin apparaît alors beaucoup plus puissant que les deux membres qui l'envahissent. On a moins l'impression d'assister à un assaut machiste. La femme se retrouve au centre du tableau. Mais ce type de perspectives relèvent plus du Sublime que du Beau. Tu perçois Porn can be beautiful comme une descente de l'érotisme dans le porno. Mais on peut tout au si bien y voir une tentative d'élévation du porno vers l'érotisme.
PC: Et que penses-tu du gangbang?
FB: Je ne vois personnellement aucun intérêt à regarder une nana se taper en dix minutes autant de mecs que d'autres en une vie. Et puis je trouve ça douteux. Certains intellectualisent cette catégorie en disant que c'est une performance féminine que ne peuvent pas égaler les hommes. Mais le ganbang s'adresse avant tout à un public masculin. Et il y a fort à parier que ce qu'observe ce public, c'est une salope réduite à l'état de hangar à bites.PC: Au fond, ce que DiaporamaX nous indique entre les lignes, c'est que le traitement visuel du sexe est généralement très formaté et cloisonné. Et qu'il conditionne le regard qu'on y porte.
FB: Peut-être. Mais ce n'est qu'une conséquence. Je n'ai pas la prétention de redéfinir la sensibilité visuelle de la sexualité. J'ai simplement essayé de capter la beauté de la nudité libinale dans son intégralité, au coeur d'un clair-obscur impressionniste.
PC: C'est cette impression picturale qui a motivé The ChiaroscuroX?
FB: Oui. Avec The ChiaroscuroX, j'ai voulu fondre ensemble ce clair-obscur frontalier avec l'obscurité native de la Vie, où le sexe occupe une place physique et psychique essentielle. Il y apparaît comme l'organe reproducteur mâle-femelle qu'il est. Et comme un dynamisme hédoniste central, universel, et ambigu. The ChiaroscuroX, c'est le monstre collectif.
PC: Tu dis que tu as voulu capter un nu libinal intégral. Mais DiaporamaX est principalement orienté sur le corps des femmes.
FB: Ouais.. le corps féminin accapare la dimension panoramique du recueil. Ça traduit mes préférences. J'ai monté Herself. Je monterai pas un Himself.
PC: Tes préférences sexuelles?
FB: Je pensais plutôt dans ce cas à mes préférences contemplatives. Même si elles sont motivées par mes tendances sexuelles. Quand tu fais ce genre de montage, tu es aux antipodes de l'excitation sexuelle. Tu te concentres sur l'ordre d'agencement des images. Sur le cadrage. Sur les raccords. Sur la synchronisation avec la musique. Tu as beau voir défiler du cul, c'est pas lui que tu regardes. Mais tu te nourris des clichés que tu as contemplés. Et tu penses à ce que tu as envie de voir au final. En tant que contemplatif et voyeur, je préfère le nu féminin. Je ne me voyais pas travailler sur du nu masculin. Je suis foncièrement adepte de la féminité.
PC: Tu as accordé une grande place au lesbianisme, alors que tu n'abordes que très peu l'homosexualité masculine. Là encore, ton panorama présente un caractère partial.
FB: L'homosexualité masculine, c'est une autre planète pour moi. Je suis incapable de comprendre l'absence d'attirance sexuelle pour les femmes. Le lesbianisme, c'est autre chose. Ça indique très clairement que l'homme est court-circuité en tant qu'agent. Il peut foutre son phallus au rabais. Il ne lui reste alors que deux options: accepter ou refuser. S'il refuse, il pénètre le seul espace de son impuissance. S'il accepte, il découvre l'essence de l'art de la contemplation érotique. Partant, il n'y a rien de plus érotique que de se branler devant du porn lesbien. Tu te retrouves dans l'impossibilité de participer. Mais cette impossibilité alimente tes fantasmes.
PC: Tu parles d'une orientation panoramique soucieuse de clair-obscur et de féminité. Tu n'accordes toutefois que peu ou pas de place à la bisexualité et aux shemales. Ces deux sujets ne sont-ils pas plus pertinents qu'un Bottoms Up & Down?
FB: Bottoms Up & Down!, c'est du fun. Cette vidéo est corrélative de Faces, qui elle, est volontairement très sucrée. Le visage, c'est ce qu'on expose le plus. C'est aussi ce qu'on marchande le plus. C'est ce qu'on voit le plus dans la publicité. L'arrière train, en revanche, c'est ce qu'on adore regarder à la dérobée. Mais dès qu'il s'agit de le marchander, cela soulève les polémiques et le tabou. Tu peux prendre ça au premier degré. Mais ça se veut plus subtil.
PC: C'est-à-dire?
FB: Les visages d'anges de Faces sont en réalité ceux de mannequins professionnels qui écartent les cuisses devant des objectifs. Exposer ces visages sur une musique de Mozart, j'ai trouvé ça très ironique. La société occidentale se gargarise avec Mozart qu'elle exhibe à toutes les sauces, alors qu'elle censure l'érotisme. Et pourtant, sa musique est très sensuelle. Mozart a d'ailleurs composé l'un des plus grands chefs d'oeuvres érotiques: Don Giovanni. De plus, le titre est un clin d'oeil au film de Cassavetes, où deux bourgeois se rendent chez une pute. Cassavetes a fait du réalisme psychologique. Mais son film Faces est éminemment érotique. Pour Bottoms Up & Down!, il m'a semblé assez satyrique d'exposer des culs sur un Blues instrumental. Parce qu'on se tortille allègrement le derrière sur des musiques qui sont, de près ou de loin, inspirées du Blues. Et on le fait en oubliant que le Blues est issu de la plus obscène et réductrice prostitution des corps: le commerce organisé à partir de l'esclavagisme. Bottoms Up & Down! et Faces ont les atours trompeurs de la bagatelle. Mais ils mordillent aux entournures notre relation ambiguë à l'image et à la musique.
PC: Je t'avoue que ça ne me paraît pas très convaincant. Pas immédiatement en tout cas.
FB: Encore une fois, DiaporamaX est à considérer comme une métaphore globale. En tant que tel, il a une dimension suggestive. Après, c'est vrai que la bisexualité et les shemales s'inscrivent en plein dans une zone de clair-obscur entre le féminin et le masculin. C'est d'ailleurs clairement évoqué dans The ChiaroscuroX. J'aurais pu faire un montage à partir de clichés de triolismes bisexuels montrant ensemble un homme, une femme, et une shemale. Mais il y aurait eu redite avec le reste. On aurait vu encore une fois des cunilingus, des fellations, et des pénétrations. J'ai préféré traiter le thème de l'énigme androgyne dans ChrisaliX.
PC: ChysaliX, c'est un peu l'OFNI de la série.
FB: C'est la seule vidéo que j'ai réalisée de A à Z. Le seul court-métrage à proprement parler. Il y est question d'une étrange créature hermaphrodite qui se dédouble, afin de passer d'une phase de son corps à une autre. Du point de vue des pratiques sexuelles, cela relève de la masturbation. Mais ça reste aussi très abstrait. Chacun peut donc y voir ce qu'il désire y voir. La figure de départ a quelque chose de démoniaque. Elle peut tout aussi bien symboliser notre aliénation sexuelle, que notre épanouissement. Mais ChrysaliX est optimiste. C'est une ode à l'envol hédoniste, à l'épanouissement sensuel, même si cet envol et cet épanouissement impliquent le chaos du désir. Au fond, c'est une célébration de la réalisation de soi. C'est à la fois le monstre singulier, et la vidéo qui boucle la boucle ouverte par Jade.
PC: Quelles sont les difficultés les plus notables que tu as rencontrées pour élaborer DiaporamaX?
FB: Pour ChrisaliX, il y eu le problème du traitement des couleurs. Tout ce qu'on voit, ce sont des plans de mon corps passés par Photo Booth et iMovie. Sa conception est en soi une chrysalide. Mon corps s'est transformé en court-métrage abstrait. Pour le reste, il y a d'abord eu la sélection et l'organisation des clichés. Un vrai casse-tête à la Frankenstein, qu'il a fallu associer à la musique. Et puis il y a eu le problème de la définition des pixels. Tous les clichés que j'utilise sont des contretypes. Je n'ai donc eu aucun moyen de traiter la taille des fichiers au départ. Et comme les vidéos étaient destinées au streaming, j'ai dû bosser en JPEG. Il y a de nombreux agrandissements dont le rendu est flou. Supprimer ce flou revenait à renoncer à plusieurs mouvements du cadrage photographique. Ce problème est resté en l'état. J'ai décidé de l'exploiter pour figurer les troubles propres à la sensualité. J'ai aussi pensé au flou artistique. Je me suis dit que ça rejoignait la clair-obscur au niveau de l'idée. Ça ne veut pas dire que je suis totalement satisfait du résultat final. Ça indique simplement que j'ai improvisé avec les moyens du bord.
PC: Que ferais-tu avec plus de moyens?
FB: Je pense que je me lancerais dans un moyen métrage. Pas en tant que réal. Je suis bien trop incompétent en terme de vocabulaire cinématographique. Mais en tant que scénariste.
PC: As-tu une idée du sujet?
FB: J'imagine un cercle privé de libertins réunis en huis clos. Ils partouzeraient en discutant de la philosophie sadienne. Mais là, on rentre dans le domaine du rêve.
PC: Comment diffuses-tu ton recueil sur internet?
FB: C'est un peu compliqué. J'aimerais te dire qu'il existe une plateforme adéquate pour un travail comme DiaporamaX. Mais ce n'est pas le cas. Avec Youtube et ses équivalents, on est très vite confronté au problème de la censure. Avec les sites spécialisés dans le porn, un projet tel que le mien est trop décalé. Ce problème a renforcé l'idée de clair-obscur qui en est à l'origine. J'ai essayé de poser des vidéos sur Pornhub. Ils sont plus ouverts que Redtube, qui ont refusé Jade. Mais la qualité audio est hélas très décevante. Alors j'ai décidé de partager mon travail via Dropbox. Là, au moins, je peux contrôler le projet de A à Z. Le problème, c'est que je le diffuse directement via mon site, qui n'est pas un site approprié. DiaporamaX demeure difficilement classable. Il ne correspond à aucune des catégories disponibles en streaming gratuit.PC: De toute façon, une société comme la nôtre est vouée à censurer et cloisonner les productions érotiques et pornographiques, qu'elles soient classables ou non.
FB: C'est à craindre, et c'est idiot. Parce que plus on censure, et plus on exacerbe. Il n'y a qu'à voir comme le porno amateur, souvent dénué de toute dimension artistique, prolifère sur le net. C'est une autre forme de clair-obscur. D'une part, le mercantilisme use et abuse de la séduction libidinale dans ses campagnes publicitaires. Et de l'autre, les autorités censurent les fictions qui élèvent le sexe au niveau d'une expression artistique. C'est une contradiction obscène.
PC: Il faut tout de même préserver certaines sensibilités, à commencer par celle des enfants.
FB: Les enfants, il faut les éduquer. Censurer des domaines au nom de la protection de l'enfance, en laissant tout partir à vau-l'eau, c'est hypocrite. Mais il y a un âge pour tout, oui. Ceci dit , nous affirmons être une civilisation avancée, et nous avons un problème avec la nudité. La dissimulation du sexe dans la réalité sociale est un phénomène culturel relatif, et contre nature. Le refoulement, on le sait, est source de névrose. Une fois que la névrose est là, le défoulement peut difficilement rééquilibrer la sauce.
PC: Tu es donc partisan du défoulement.
FB: Je pense qu'une personnalité équilibrée réclame un équilibre entre le refoulement et le défoulement de ses pulsions individuelles. Le puritanisme est une sève malsaine. Cela fait des siècles que les puritains de toutes confessions se reproduisent et nous pourrissent la vie. Ils sont toujours les premiers à partir en croisade contre la liberté sexuelle, et celles de penser et de s'exprimer. Nous venons tous au monde nus. C'est ça, le phénomène universel.PC: Quel impact peut avoir le visionnage de DiaporamaX sur des ados, selon toi?
FB: Franchement, aucune idée. Ce recueil est iconoclaste. Son but est de procurer du plaisir esthétique. Les ados d'aujourd'hui carburent aux excitants de toutes sortes. DiaporamaX a de fortes chances de laisser la plupart d'entre eux indifférents.PC: Que penses-tu de cet engouement des ados pour le porno sur le net, et des polémiques que cela soulève?
FB: La pornographie peut leur donner une idée erronée de la sexualité. Il vaudrait mieux les instruire sur le fait que c'est de la fiction, plutôt que mettre en place des "pares-feux" qu'ils contournent aisément en étant livrés à eux-mêmes.
PC: Si tu avais à formuler une conclusion sur DiaporamaX, quelle serait-elle?
FB: Ce recueil est avant tout un hommage aux femmes.
PC: On y sent effectivement un amour de la féminité.
FB: Merci..
PC: Que retires-tu finalement de ce travail?
FB: Euh.. je me suis bien défoulé! (Rires). Plus sérieusement, j'ai à présent une meilleure compréhension de l'importance de la photographie et du montage dans le cinéma. J'ai aussi saisi avec plus d'évidence que la musique n'a aucune signification en soi. On peut lui faire dire ce que l'on veut, en fonction des images avec lesquelles on la met en relation. La musique est un langage étrange, à la fois abstrait et sensuel.
PC: Ce qui prime dans DiaporamaX est donc la sensualité.
FB: Une sensualité musicale, oui. Ma sensibilité est foncièrement musicale. Je nourris une relation très charnelle avec la musique. Même quand il n'y a pas de musique, il y a le rythme de son silence. Et c'est ce rythme qui est la clé de la musique. Un autre clair-obscur.
Propos recueillis par Patrick Colinier.
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