• La Flûte Matinale

     

    Dès l'éveil, je préfère les ombres de la forêt nocturne aux miroirs du jour. En revanche, j’aime à voir les reflets des jeunes femmes qui s'y s'apprêtent. Dissimulé dans les sous bois des parcs publics, parmi les fraîcheurs, je grimpe aux branches, et les espionne, à travers rideaux et volets. J'hume leur musc citadin et moderne, m'enivre des senteurs indécises et nues qu'elles suspendent devant les penderies de leurs chambres privées. Si elles savaient comme je les épie, lorsqu'elles s'épanchent dans les glaces de leurs salles de bain, encore atiffées de sommeil. Ah le mascara qu'elle s'applique sur les cils, et le col noir, sur le contour intérieur des paupières. Et ce rouge à lèvres, qui promet tant de baisers! Je sais peut-être mieux qu'elles, comme elles sont amoureuses de leur image nubile. Puisque elles sortent, tel un essaim de fleurs, aussi fraiches que les premiers rayons du printemps. L'air matinal dissipe peu à peu les cernes dont la nuit les fagote. Et la plupart ne sont jamais assez belles. Leur miroir ne suffit pas. Il leur faut d'autres yeux. Elles s'envolent et tournoient, auprès du sourire des amants, attendant celui qui saura, mieux qu'un autre, les déshabiller du regard. Et elles virevoltent, et font mine de s'effaroucher, pour se montrer plus pénétrantes!

    Je pense souvent à elles, lorsque ne m'étant pas trop éloigné de la forêt, ma tête se perd au beau milieu des feuilles de vignes des rêves que je quitte. Et à ce si gracieux vêtement qu'est l'Orgasme. Et comme il leur sied. Parfois Bacchus gronde, et la sève se change en saisons des vendanges. Mais toutes les saisons sont là. Le vin jaillit des grappes. Le sarment est l’arqué, et l’arqué une flûte. Et comme l'odeur des prairies baignées de rosée parfume mon museau, je désire un miroir. Mais il n'y en a pas dans la forêt. Alors je me rend seul auprès de la rivière, où Narcisse se condamne, pour s'être trouvé trop beau, à pleurer la noyade d'Echo. Moi, je préfère m'occuper de cette tige gorgée de suc, sous mon bas ventre, que j'échauffe, pour faire un feu. Je sais bien que les anges, si soucieux, comme les jeunes citadines, de leur image, et si préocupés, comme Narcisse, par leur reflet, ne m'entendent pas rugir, moi, bête aux cheveux hirsutes et au menton poilu! Mais toutes ces nymphes, se baignant elles aussi, en secret, dans la rivière, que voient-elles? Un pauvre cep esseulé dans l’hiver? Un satyre cherchant un nymphéa? Si je leur disais que le satyre a déjà trouvé le nymphéa? Si je leur disais que cet arqué est la flûte de Pan? Si je leur disais qu’il n’est pas de plus doux miroir que leurs deux yeux, pour deviner plus loin, au coeur de la forêt, la silhouette du glorieux Pan? Si je leur disais qu’il n’est pas de plus précieux souffle que le leur, pour qu'un enchantement sourde de cette flûte? Si je leur disais que le crépuscule est toujours déjà là, et que la nuit est blanche? Que décideraient-elles d’entendre alors? Qu'importe, pourvu que je puisse me jeter sur l'une d'elles, et qu'elle saisisse cette flûte en rut. Et sinon, je me frotte contre un arbre.

     

    La Flûte Matinale


    La Flûte Matinale

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